Espaces de Berkovich:
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  1. Géométrie analytique non-archimédienne

  2. Dynamique sur un corps non-archimédien

  3. Du complexe au non-archimédien



1. Géométrie analytique non-archimédienne 

Les fondements de la géométrie des espaces de Berkovich ont été posé dans le livre de Berkovich Spectral theory and analytic geometry over non-Archimedean fields, mais la lecture de cet ouvrage reste encore difficile. La définition d'espace même a par la suite évoluée, et certains points de nature fondamentale restent encore éclaircir. 

$ \bullet$ Les fondements. Ducros est actuellement en train de travailler sur une série d'articles complétant les travaux de Berkovich et les étendant dans un cadre très général. Celà concerne des résultats de type GAGA « non-archimédien »; une étude fine de diverses notions de dimension dans le cadre des espaces de Berkovich; ainsi que les modifications induites par le changement de corps de base.

Une ligne d'étude qui n'a pas été touchée par Berkovich concerne la structure des morphismes entre espaces de Berkovich et en particulier la description de leur image. Si l'image d'un espace analytique n'est en général pas semi-analytique, on peut malgré tout espérer pouvoir obtenir une stratification en cellules au-dessus desquelles le morphisme est particulièrement simple (plat ?). La structure globale des morphismes reste elle aussi obscure: si en basse dimension, on peut utiliser des résultats de monomialisation des morphismes dûs à Cutkosky pour en comprendre la structure, rien de tel n'existe pour le moment en dimension $ \ge 4$.

$ \bullet$ Géométrie $ p$-adique. Les espaces de Berkovich sont en particulier définis sur les corps $ p$-adiques, et dans ce cadre des problématiques spécifiques surgissent. Berkovich a défini une cohomologie étale $ p$-adique pour laquelle des phénomènes sauvages apparaissent lorsque les coefficients sont de torsion $ p$-primaire. On montre par exemple que $ H^1 (D,
\mathbb{Z}/p\mathbb{Z})$$ D$ est le disque unité ouvert sur $ \mathbb{C}_p$est infini, alors que $ H^1 (D, \mathbb{Z}/l\mathbb{Z})
= 0$ lorsque $ l\neq p$. Il serait intéressant de mieux comprendre ces problèmes, en étudiant le lien (« théorie de Hodge $ p$-adique ») entre cohomologie étale $ p$-adique et cohomologie de de Rham. Quand la variété est algébrique, ce lien existe déjà grace aux travaux de Fontaine et Faltings entre autres.

Dans ce but, on pourra notamment chercher à utiliser la notion d'intégration $ p$-adique introduit par Berkovich. Exploitant le caractère localement connexe par arcs de ses espaces, il a pu développer sur ces derniers une théorie de l'intégration des $ 1$-formes différentielles fermés. Celle-ci, inspirée en partie par les travaux antérieurs de Coleman sur les courbes, s'applique à tout espace analytique lisse $ X$ sur $ \mathbb{C}_p$

$ \bullet$ Théorie du potentiel non-archimédienne. En géométrie complexe, la théorie du pluripotentiel (ce qui concerne les fonctions plurisousharmoniques et les courants positifs) joue un rôle tout à fait fondamental. Les espaces de Berkovich se proposant (en particulier) de fournir un contexte adéquat pour parler de variété analytique sur un corps arbitraire métrisé, il est naturel de chercher à développer dans ce contexte une théorie du pluripotentiel. En dimension $ 1$, la situation a été complètement clarifiée récemment. En utilisant le fait qu'une courbe de Berkovich est localement un arbre réel métrisé (possiblement avec un nombre non-dénombrable de ramifications), on peut construire un opérateur de Laplace qui possède des propriétés tout à fait similaire à son analogue complexe (Thuillier). A l'aide de celui-ci on peut alors copier la situation complexe et définir une théorie non-archimédienne de la capacité (Baker-Rumely). Ceci constitue une théorie qui a déjà recu de nombreuses applications: en géométrie arithmétique (définition de nouveaux type de hauteurs; équidistribution de petits points) ; en dynamique non-archimédienne (voir §2), et même en dynamique complexe (travaux de Favre-Jonsson). Il est donc important que de tenter d'étendre en dimension supérieure ces constructions.

Si la situation est pour le moment à l'état d'ébauche, de multiples pistes se dessinent auxquelles deux membres du projet participent activement (Favre et Thuillier). Une première approche a été introduite dans un papier fondamental de Bloch-Gillet-Soulé  [Non-Archimedean Arakelov theory.
J. Algebraic Geom. 4 (1995), no. 3, 427--485]. La définition des fonctions plurisousharmoniques, des courants positifs, de l'analogue de l'opérateur $ \mathrm{dd}^c$ et de l'opérateur (non-linéaire) de Monge-Ampère reflétent ainsi les propriétés d'intersection et de positivité des cycles définis sur les réductions de l'espace de Berkovich considéré. Une étude systématique des opérateurs$ \mathrm{dd}^c$ et du Monge-Ampère reste cependant largement ouverte.

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2. Dynamique sur un corps non-archimédien

Il s'agit d'étudier les propriétés dynamiques d'une fraction rationnelle $ R\in k(T)$ définie sur un corps $ k$ donnée.

Dans le cas classique $ k=\mathbb{C}$, $ R$ induit une action sur la sphère de Rieman $ \mathbb{P}^1(\mathbb{C})$. Pour comprendre la dynamique de $ R$, on découpe $ \mathbb{P}^1(\mathbb{C})$ en deux zones disjointes: un ouvert appelé ensemble de Fatou où la dynamique est régulière; et son complémentaire l'ensemble de Julia où la dynamique est chaotique. Après les travaux fondateurs de Fatou et Julia, ceux de Siegel, Brjuno, Yoccoz, Sullivan ont permis de comprendre complètement la dynamique dans l'ensemble de Fatou. Parallèlement, en suivant une approche statistique, Brolin, Lyubich, Mané et plus récemment Prytycky, Smirnov ont eux étudié les propriétés ergodiques fines de $ R$ et la géométrie fractale de l'ensemble de Julia. Enfin la dépendance de la dynamique de $ R$ par rapport aux paramètres a fait l'objet de travaux difficiles par Douady, Hubbard et McMullen. Il est naturel de tenter de suivre ce schéma d'étude si  maintenant $ k$ est un corps métrisé ultramétrique quelconque.

$ \bullet$ Théorie de Fatou-Julia non-archimédienne. Plaçons nous tout d'abord dans le cas où $ k$ est algébriquement clos et complet. Rivera-Letelier a montré qu'un analogue de la théorie de Fatou-Julia complexe pouvait être construit, au moins si l'on regardait l'action de $ R$ sur l'espace de Berkovich $ \mathsf{P}^1(k)$. On procède ainsi à un découpage de cet espace en une zone ouverte où la dynamique est régulière (l'ensemble de Fatou), et une compacte (l'ensemble de Julia) où elle est chaotique. Et on regarde maintenant la dynamique de $ R$ dans chacune de ces deux zones.

La dynamique dans l'ensemble de Fatou est maintenant bien comprise grace aux travaux de H'sia, Rivera-Letelier et Benedetto, mais ils restent encore quelques questions fondamentales en suspens. On peut en citer deux parmi d'autres: l'estimation du nombre de composantes quasi-périodiques; et la classification des composantes de Fatou de type errant. Pour ce dernier problème, des résultats partiels de Benedetto et de Kiwi ont été obtenus.

la dynamique dans l'ensemble de Julia et plus généralement les propriétés ergodiques de $ R$ sont elles beaucoup plus mystérieuses. En utilisant la théorie du potentiel sur les courbes analytiques (voir §1), Favre et Rivera-Letelier ont réussi à construire une mesure invariante ergodique dont le support caractérise l'ensemble de Julia. Cependant et en constraste avec le cas complexe, l'étude plus fine des propriétés ergodiques de $ R$ s'avère très délicate. Les cas problématiques surgissent lorsque $ R$ possède des réductions non-séparables. Dans ce cas, une question aussi basique que le calcul d'entropie reste sans réponse. Pour comprendre mieux ces phénomènes, il est naturel de regarder dans un premier temps des cas avec réduction séparable, par exemple lorsque $ k$ est de caractéristique résiduelle nulle. Les premiers indices montrent que dans ce cas, on peut aussi espérer commencer une étude de l'espace des paramètres, domaine essentiellement vierge dans le cadre non-archimédien (en dehors de travaux partiels de Kiwi, voir §3).

$ \bullet$ En dimension supérieure. Trois membres du groupe (Briend, Dujardin et Favre) ont travaillé sur des problèmes concernant l'itération des applications rationnelles complexes en dimension supérieure. Dans ce cadre, la théorie est nettement moins développée qu'en dimension $ 1$ et a surtout porté sur les propriétés ergodiques de ces applications en s'appuyant sur la théorie du pluripotentiel. Comme nous l'avons mentionné il n'existe pour le moment pas de théorie du pluripotentiel sur les corps non-archimédiens à proprement parler. Mais il est sûr qu'une telle théorie ouvrirait de multiples perspectives et permettrait sans aucun doute de généraliser dans ce cadre les résultats de dynamique holomorphe de Bedford-Smillie, Fornaess-Sibony ou Briend-Duval. Les applications dynamiques fournissent en tous les cas une motivation supplémentaire pour le développement d'une telle théorie.

De manière moins ambitieuse et pour préparer le terrain, il serait intéressant d'analyser des classes d'exemples non triviaux de dynamique non-archimédienne en dimension supérieure. Dans cette optique, et s'inspirant de leurs analogues complexes, les automorphismes de type Hénon sur $ k^2$, les automorphismes de surfaces K3, les endomorphismes des variétés abéliennes semblent les plus prometteurs.

$ \bullet$ Sur d'autres corps non-archimédiens. La dynamique des applications polynomiales réels sur la droite a aussi été, comme son analogue complexe, l'objet d'études intensives et profondes par Jakobson, Lyubich, entre autres. Cette étude se base sur la structure ordonnée de la droite réelle, mais utilise aussi parfois des méthodes de nature complexes. Dans cet ordre d'idée, il est naturel d'étudier l'action des polynomes à coefficients dans les corps locaux (extensions finies de $ \mathbb{Q}_p$ ou de $ \mathbb{F}_p(T)$). Dans cette direction, Benedetto-Briend-Perdry ont étudié la dynamique des polynomes quadratiques sur les corps locaux, et ont constaté que de de tels systèmes exhibaient une richesse dynamique tout à fait surprenante. Ces premiers résultats laissent présager un champ d'étude très intéressant.

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3. Du complexe au non-archimédien

De manière générale, on peut s'attendre à ce qu'une famille d'objets définie sur $ \mathbb{C}$ dégénère en un objet défini sur $ \mathbb{C}((t))$. D'apparence très vague cette idée dessine en réalité un lien profond entre diverses études d'apparence disjointes.

$ \bullet$ Espaces des fractions rationnelles. Dans les années 80, Morgan-Shalen ont donné une construction de la compactification de Thurston de l'espace de Teichmüller en utilisant les espaces de valuations. Récemment, DeMarco et McMullen ont introduit un analogue dynamique de cette construction en donnant une compactification de l'espace $ \mathcal{P}_d$ des polynomes complexes de degré fixé (modulo conjugaison par le groupe affine).

Leur méthode de construction est la suivante. Pour chaque polynome complexe, on munit le bassin de l'infini d'une métrique plate adéquate. Lorsque le polynome tend vers l'infini dans l'espace des paramètres, on montre que l'espace métrique ainsi défini converge au sens de Gromov vers un arbre réel muni d'une dynamique limite affine par morceaux. En rajoutant à l'infini un ensemble d'arbres réels particuliers, on obtient ainsi une compactification de $ \mathcal{P}_d$ dans laquelle la dynamique induit par les polynomes s'étend continument au bord. En s'appuyant sur cette propriété, DeMarco a pu analyser en détails les dégénérescences des polynomes et la géométrie de $ \mathcal{P}_d$ au voisinage de l'infini. Comme on le voit, le point de vue de DeMarco-McMullen est combinatoire et métrique et n'utilise pas explicitement le langage des espaces de Berkovich.

Dans le cas particulier des polynomes de degré $ 3$, Kiwi a montré cependant comment obtenir cette compactification en utilisant la dynamique des polynomes sur $ \mathbb{C}((t))$. Son approche permet de relier directement la dynamique sur $ \mathbb{C}$ et la dynamique sur $ \mathbb{C}((t))$ et peut donc servir pour transporter des résultats du complexe vers le non-archimédien et vice-versa. C'est une méthode très prometteuse pour approcher les problèmes mentionnés en §2: Kiwi a pu ainsi donné la caractérisation attendue des composantes errantes des polynomes cubiques.

Une extension des résultats de Kiwi en degré plus grand pourrait de plus être combiné avec l'étude pluripotentialiste de $ \mathcal{P}_d$ qu'ont effectuée Dujardin et Favre. Suivant les travaux de DeMarco et de Bassaneli-Berteloot,  ceux-ci ont construits des courants positifs fermés de tout bidegré décrivant les bifurcations des polynomes, et il serait très intéressant d'étudier leur trace sur le bord à l'infini, et de relier cette trace à des courants naturels définis dans l'espace des paramètres des polynomes sur $ \mathbb{C}((t))$. On voit donc qu'il apparait encore une fois la nécessité de construire une théorie convenable du pluripotentiel sur les variétés de Berkovich.

Enfin mentionnons aussi que peu de choses ont été faites pour comprendre le bord de l'espace des paramètres des fractions rationnelles. La situation est nettement plus compliquée car la combinatoire de telles applications est très difficile à coder.

$ \bullet$ Géométrie complexe. En munissant $ \mathbb{C}$ de la norme triviale, on peut associer à toute variété analytique complexe un espace de Berkovich. Cette construction en aparence banale est intéressante à pluseirus titres. En suivant les travaux de Stepanov, Thuillier a ainsi montré que dans le cas de variété complexe singulière, le type d'homotopie de l'espace de Berkovich associé est celui du complexe dual d'une résolution des singularités de l'espace.

Cette idée a été aussi utilisé par Berkovich lui-même pour relier la filtration de Hodge d'une variété complexe à cohomologie étale de son analytifié au sens de Berkovich. Plus précisément, si $ X$ est une variété algébrique sur $ \mathbb{C}$, et si $ X^\mathrm{an}$ désigne l'espace analytique associé sur $ \mathbb{C}$ muni de la norme triviale, alors $ W_0
Hi(X(\mathbb{C}),\mathbb{Q})$ est naturellement isomorphe à $ H^i(\vert X^\mathrm{an}\vert,\mathbb{Q})$. Au vu de ce résultatt, on peut se demander, si il existe une description des crans supérieurs de la filtration par le poids des $ H^i(X(\mathbb{C}),\mathbb{Q})$ en termes de l'espace $ X^\mathrm{an}$? Ducros a étudié en détail le cas des courbes analytiques les groupes de cohomologie qui comparent la topologie de l'espace sous-jacent à sa topologie étale. Une généralisation de cette approche (et notamment du formalisme des triangulations, introduit pour l'occasion et sur laquelle elle se fonde) en dimension supérieure pourrait certainement être utile pour répondre à la question ci-dessus.

L'idée suivante permet concrètement de relier famille à un paramètre de variétés sur $ \mathbb{C}$ et variété sur un corps non-archimédien. Soit donc $ X$ une variété algébrique propre sur le corps $ K$ des fonctions méromorphes au voisinage de l'origine dans $ \mathbb{C}$. Elle définit, pour tout nombre complexe $ z$ non nul et de module suffisamment petit, une variété algébrique complexe $ X_z$. Par ailleurs, on peut par complétion plonger $ K$ dans le corps des séries formelles $ \mathbb{C}((t))$. Lorsqu'on munit $ \mathbb{C}((t))$ d'une valeur absolue $ t$-adique, on en fait un corps ultramétrique complet. Bien que la topologie induite par $ \mathbb{C}$sur $ \mathbb{C}$est discrète donc très différente de la topologie standard, de nombreux liens existent entre la famille des $ X_z(\mathbb{C})$ et l'espace de Berkovich $ X(\mathbb{C}((t)))$.

Kontsevich et Soibelman ont ainsi considéré le cas où $ X$ est une variété de Calabi-Yau. Ils ont défini de façon cohérente une métrique plate $ g_z$ de diamètre $ 1$ sur chacun des $ X_z(\mathbb{C})$; et ont conjecturé que si $ X$ a une réduction totalement dégénérée, la suite d'espace $ (X_z
(\mathbb{C}), g_z )$ converge quand $ z\to0$ (au sens de Gromov) sur un espace métrique qui s'identifie à un fermé de $ X(\mathbb{C}((t)))$ sur lequel ce dernier se rétracte.

Comme dans le cas dynamique mentionné ci-dessus, ce type de résultats permet de transporter des informations du complexe vers le non-archimédien et vice-versa. Ils permettent en particulier de construire des exemples de variétés de Berkovich muni d'une géométrie très riche. Dans une autre direction, comme l'a montré Berkovich ces constructions permettent aussi de relier les groupes de cohomologie de $ X(\mathbb{C}((t)))$ aux variation de structures de Hodge mixtes sur $ \mathbb{C}$.

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